3ère partie - Populations urbaines et populations rurales
Introduction : en complément de
l'étude de la répartition des hommes sur la terre, on descend à une échelle
inférieure où on trouve d'autres formes de concentration et de dispersion, à travers
l'opposition entre villes et campagnes. I- Les problèmes de définitions pour l'urbain et le rural sont significatifs d'une certaine incertitude actuelle sur la spécificité de la ville aujourd'hui.A priori, les distinctions entre villes et campagnes paraissent banales et évidentes. Mais des mots simples comme ville ou campagne ne recouvrent pas les mêmes réalités selon les pays. En fait, en terme de statistique c'est l'une des distinctions qui change le plus entre les pays, en fonction des données culturelles ou des niveaux de développement. En général on part de la ville pour définir par opposition la campagne - le nombre et la taille (sans jamais aucun critère chiffré) De la concentration des habitants, de la stimulation des échanges et des activités, ont résulté des innovations, progrès économiques et médicaux : il en résulte des traits sociaux de la population (espérance de vie élevée, mortalité infantile faible, analphabétisme faible). Du coup ces traits sociaux définissent une population "à caractère urbain", mais qui peut aujourd'hui habiter dans un cadre campagnard étant donné l'étalement des villes et les facilités de communication. (Cela dit, avant
la transition démographique) - Le premier critère est le nombre. Mais comme le critère numérique n'est pas
le même partout, les comparaisons internationales sont difficiles : 200 habitants
pour faire une ville en Suède, 10 000 en Espagne, 40 000 en Corée du sud Mais un même chiffre peut avoir un sens différent selon le degré de développement d'un pays : dans les pays développés, beaucoup de villages n'ont qu'un très petit nombre d'agriculteurs et ont donc déjà un caractère urbain, alors que dans de nombreux pays en voie de développement, les petites villes ont encore des traits ruraux. Du coup, les services de statistique ont élaboré un critère plus complexe : - 2è critère utilisé : les activités, à travers la composition de la population active. On prend en compte le % de personnes ayant des activités non-agricoles (commerce ou industrie), alors que la population agricole est censée définir la population rurale. Les Nations-Unies respectent la définition de la ville adoptée par chaque Etat, même si c'est très variable : c'est une approche qui privilégie le qualitatif, le rapport à la ville des différentes cultures, mais rend difficiles les comparaisons. En même temps, les écarts de taux sont suffisamment grands pour être significatifs. Et finalement, les différences de définitions ne sont pas si inintéressantes puisqu'elle traduisent après tout des différences de perception. Conclusion concrète : les comparaisons internationales en matière d'urbanisation sont très délicates : il faut critiquer les données avant de faire un travail comparatif entre différents pays du monde (et dans un même pays aussi, il faut faire attention aux modifications possibles dans le temps des définitions). A l'échelle du monde, les populations urbaines constituent un peu moins de la moitié
de la population, environ 47 % de taux de population urbaine = part de la
population urbaine dans la population totale. II- Les processus d'urbanisation 1- A quoi sont dues les villes ? - Y a t'il corrélation entre densité tout court (densité du peuplement) et densité urbaine (nombre de villes et/ou proportion de gens habitant dans une ville) ? Les géographes ne sont pas d'accord (et évidemment chacun a raison, là encore ça dépend de l'échelle à laquelle on se place). Pour s'en tenir à deux auteurs importants sur le sujet :Noin pense que oui : Globalement les villes correspondent aux grands foyers de
peuplement (voir carte : à l'échelle du monde c'est vrai) - La croissance urbaine est corrélée à la croissance démographique - à cause de la croissance naturelle propre aux villes- à cause de l'exode rural lié à la trop forte croissance rurale Au fur et à mesure que les hommes deviennent plus nombreux, ils ont tendance à se concentrer : en effet, les campagnes ne peuvent absorber indéfiniment l'augmentation de la population (même si on a atteint des densités de près de 1000 habitants par km² dans les campagnes d'Asie du sud et de l'est) L'augmentation de la densité dans les campagnes se fait en utilisant au maximum les possibilités du milieu naturel, en prenant des risques écologiques. / Tandis que l'urbanisation repousse à l'infini les limites que le milieu naturel impose aux hommes dans les zones rurales. La ville est la forme la plus efficace que les hommes ont trouvée pour faire vivre un nombre "infini" d'humains sur un minimum d'espace : la ville permet une très forte concentration de population. Ainsi concerna nt l'écoumène, 5 % de surface urbanisée s'opposent à 95 % d'étendue rurale.2- Y aurait-il un modèle d'urbanisation qui viendrait des pays développés ? - Avant la Révolution industrielle, le fait urbain est très faible : 3 à 5 % de la population, dans des petites villes, car il y a peu de surplus agricoles et les communications sont difficiles (donc échanges faibles). - L'urbanisation massive commence en Europe. Elle est clairement due à la révolution industrielle qui a commencé en Europe, où niveau de développement et taux d'urbanisation étaient et sont étroitement liés. En effet, l'augmentation de la production agricole, l'amélioration de la situation
sanitaire (l'hygiène et la médecine) ont entraîné une forte croissance démographique,
mais aussi de nouvelles activités industrielles puis tertiaires qui ont attiré les
campagnards venus nombreux dans les villes ; ces nouvelles activités ont aussi créé de
nouvelles concentrations sur les bassins miniers. Concomitamment, les campagnes n'exigeait
plus autant de main d'oeuvre agricole en raison de leur modernisation. Daniel Noin juge qu'il y a un modèle d'évolution de la croissance urbaine, en
lien avec la révolution industrielle et la transition démographique. Il observe que
l'urbanisation ne s'est pas faite partout en même temps : d'abord en Europe du
nord-ouest voilà 150 ans (et surtout en GB et Londres) puis dans
le reste de l'Europe et dans les prolongements de l'Europe du 19è s (Amérique du nord et
du sud, Océanie), Japon assez tôt. Puis le développement des villes a gagné les pays colonisés,
les pays plus isolés d'Afrique et d'Asie ayant été urbanisés plus tard, après
deuxième guerre mondiale) 3- Les pays en développement Est-ce un processus comparable à celui qu'a connu l'Europe au 19è et 20è s ? Noin dit que oui puisqu'il estime que c'est un processus que tout le monde suit, pour lui c'est comparable à la transition démographique qui s'est faite plus ou moins en parallèle partout dans le monde. Il y a en effet certaines ressemblances dans le processus de l'urbanisation : notamment la forte croissance démographique, l'exode rural, la tendance à l'émigration (pays neufs au 19è s, migrations actuelles vers pays plus riches). Mais 3.1. Les différences avec le cycle d'urbanisation des pays industrialisés - La population rurale connaît une croissance très forte, densification des
campagnes (alors que dans les pays développés, il y a eu surtout croissance urbaine, les
campagnes se vidant et vieillissant) Cette densification s'est accompagnée d'une forte pression sur les terres cultivables, qui a débouché sur la conquête de nouveaux espaces (autour des villages, ou par accroissement des surfaces irriguées dans les pays secs, ou par défrichage des forêts comme en Amazonie, Bornéo, Sumatra). Un certain nombre de progrès agricoles ont permis un accroissement des rendements et donc une amélioration globale de l'alimentation (révolution verte grâce à de nouvelles semences notamment). Cela dit, l'équilibre est fragile dans certains pays africains qui sont en dépendance
alimentaire, le moindre trouble politique peut transformer cette dépendance en famine. / En Europe la croissance était plus basée sur l'exode rural, en raison de la forte attraction des nouvelles activités industrielles, de la mécanisation des campagnes - Les villes n'attirent pas en raison de leur demande de main d'oeuvre comme les
villes européennes du 19ès. Elles ont assez souvent une croissance économique
modérée, un chômage élevé ou du sous-emploi, une faible croissance des indicateurs du
niveau et de la qualité de la vie. Mais là on simplifie beaucoup en énonçant des généralités et il faut descendre à l'échelle des zones de continent. 3.2. L'immense diversité des dynamiques rurales et urbaines des pays en voie de développement - Afrique subsaharienne : l'Afrique est encore très rurale, les taux
d'urbanisation sont assez faibles : entre 25 et 40 % (voir
tableau). Elle connaît une forte croissance démographique partout, tant à la campagne
qu'en ville : La densité urbaine est faible sauf quelques grandes cités, capitales en général, mais pas toujours : (après la 15è place au niveau mondial, moins de 9 M d'habitants) CARTE DES VILLES Le Caire 9,6 M (1997), Lagos (Nigeria) (8-10 M) (qui n'est plus la capitale)Dar es Salaam (Tanzanie), Kinshasa (Congo ex Zaïre), Le Cap et Johannesburg (Afrique du sud) dépassent le million d'habitants. - Le Proche Orient (hors Chypre et Israël qui sont dans une situation de pays développé) connaît une combinaison assez originale de :. Forte urbanisation (entre 50 et 75 %) (civilisation urbaine depuis longtemps, en lien avec activité ancienne du commerce entre Extrême-Orient et occident, dès l'époque du Croissant fertile, puis époque du prophète Mahomet et de l'Islamisation) urbanisation qui continue de croître par l'exode rural et par immigration internationale. . Croissance démographique très forte, même dans les pays pétroliers à forts revenus (croissance démographique peut être indépendante du revenu) Grandes villes : Bagdad, Téhéran - L'Amérique latine achève à la fois sa transition démographique et son
urbanisation (74 % en 1995 = moyenne nord américaine ou européenne) (45 % en 1955).
Même les derniers pays à avoir conservé de fortes croissances rurales sont en train de
s'aligner (Costa Rica, Salvador, Guatemala, Bolivie), sauf Haïti et quelques îles
caraïbes atypiques. - Asie du sud et sud-est Chine (dont on se préoccupe toujours un peu plus étant donné le poids énorme
de sa population) a un taux de ruraux de 74 % en augmentation rapide depuis la relative
libération de ces dernières années (limitation pendant la période maoïste). Les pays développés ont connu un rythme rapide de croissance urbaine dans les années
1950 et 1960, dans une époque de fort développement économique, d'augmentation du
niveau de vie et de baby-boom (qui a abouti à un fort taux d'urbanisation : 73 % en
moyenne aujourd'hui). - fin du baby boom, stagnation démographique. Du coup, on peut se poser la question :
la fin de la transition démographique et la fin d'une forte croissance urbaine vont-elles
de pair ? Du coup, on a assisté à deux phénomènes nouveaux (notamment en Europe du nord et de l'ouest) : - la croissance des villes moyenne et petites : le solde migratoire est désormais déficitaire dans les métropoles (New-York depuis 1970), Île de France depuis 1990. - l'étalement des grandes métropoles qu'on n'a pas tout de suite su quantifier. Puis on a inventé de nouvelles dénominations : Il y avait l'agglomération (ville + banlieue = continuité du
tissu urbain) (= "Unité urbaine" pour l'INSEE) Cet étalement est particulièrement marqué aux Etats-Unis (centre d'affaires + habitat populaire et vieilles usines puis immenses suburbs et noyaux résidentiels isolés à la sortie d'une autoroute) - Mais du coup, on peut se poser la question : n'est-ce pas toute la
population des pays développés qui a un mode de vie et une composition sociale urbaine ?
Les habitants des campagnes ont désormais une composition sociologique "urbaine" : ils sont artisans, commerçants, employés ou cadres dans les services ou industrie sur place, soit se déplacent tous les jours vers la métropole, en train (villes à une heure de Paris, élargies avec le T.G.V.) soit en voiture vers la banlieue (on a pu les appeler les rurbains)Cette évolution a pu se faire grâce aux progrès des télécommunications et de l'automobile, qui permettent aux habitants de la campagne de profiter des services de la grande ville. Tous acquièrent les caractéristiques sociales des urbains (haut niveau de formation et de santé), un même comportement "urbain" caractérisé par des habitudes de consommation, un niveau de vie élevé, une structure démographique particulière (2 enfants par famille) (et même les maisons ressemblent de plus à maisons de banlieue, au lieu de l'habitat rural traditionnel). - Reste marginal le rural profond, qui s'est beaucoup vidé depuis 150 ans. En France, mais en France seulement, on parle de désertification : c'est le seul pays où l'on utilise un mot connoté négativement, comme si on avait la nostalgie d'un peuplement "harmonieux et équilibré" . Alors qu'en fait, les urbains stressés sont bien contents de pouvoir faire des randonnées ou passer 1 semaine dans un gîte rural du "rural profond" (dans le massif central ou les Alpes du sud).Par zones : - Europe : les taux d'urbanisation sont importants (80-85 % en Europe
nordique et occidentale : plus de 90 % au RU, Pays-Bas, Belgique, 70 % en Europe
orientale). Mais contrairement aux Etats-Unis, le territoire européen est enserré dans
une fine trame de villes petites ou moyennes - En Europe de l'est, la population rurale continue à décroître aujourd'hui, alors que l'urbanisation avait été accélérée par la politique communiste d'industrialisation et de collectivisation des terres. Il y avait alors volonté d'éradiquer l'esprit paysan jugé hostile au socialisme, en rassemblant le maximum de population dans les grands ensembles résidentiels des périphéries urbaines = 55 à 70 % de population urbaine. (de nouveau un zoom vers une échelle plus grande, plus "locale", au niveau de chaque pays à présent) III- Les régularités de la distribution spatiale des villes (les travaux de recherche ont été faits pour les pays développés et urbanisés, mais on peut étendre les réflexions aux pays en développement)1- La taille des villes Si on fait un schéma (VOIR SCHEMA) de corrélation entre le rang de la ville en abscisse (en échelle logarithmique : 1, 10, 100, 1000) et la population de la ville en ordonnée, on obtient une ligne droite (\) : il y a un lien régulier pour de nombreux pays (Etats-Unis, Belgique, Suisse, Italie, Chine, Corée, Inde, Brésil). Mais parfois la ligne est droite sauf au début où la première ville a une population nettement supérieure : c'est une distribution "primatiale", considérée comme une "anomalie", en lien avec l'histoire : c'est évident pour la France (centralisation forte), l'Autriche et le Danemark (capitale d'un pays nettement plus grand autrefois = changement d'assiette territoriale), la Grèce, la Thaïlande, les Philippines, le Mexique, le Pérou, l'Argentine et de nombreux pays en voie de développement. Cette irrégularité peut s'accroître dans le temps. En France, les villes de province n'avaient pas un poids aussi faible avant le 19è s, qui a vu Paris absorber toute la croissance démographique du pays.Certains auteurs ont suggéré que cette hypertrophie, cette macrocéphalie était caractéristique des pays en voie de développement. En fait elle existe ailleurs et de plus est en train de s'atténuer dans les PVD.
Il y a aussi une relation entre l'espacement des villes et leur rang numérique, ou leur rang hiérarchique (déterminé par les fonctions tertiaires qu'elles exercent) : plus concrètement, les petites villes qui offrent peu de services ne sont pas très éloignées les unes des autres. Les grandes villes aux fonctions - activités - nombreuses et de rang élevé sont distantes les unes des autresC'est la fameuse théorie des places centrales de l'Allemand Christaller (1933) et de l'économiste américain Losch (1944) : pour chaque service ou produit vendu, il existe une portée-limite au delà de laquelle les frais de déplacement deviennent trop élevés, ce qui annule la demande : on est prêt à faire une longue distance pour un produit exceptionnel ou une opération grave dans un hôpital ou pour suivre des études spécialisées, mais pas pour des services d'un niveau inférieur (moins chers, moins rares) pour lesquels on acceptera seulement un déplacement moindre (achat de vêtement, aller médecin ou aller au lycée) (compléments). Cette influence est connue pour Paris : l'énorme croissance de la capitale a "stérilisé" une vaste zone d'influence autour de Paris, d'où il résulte que les grandes villes françaises sont en périphérie. (Conclusion) Quelles sont les tendances actuelles ? - Donc comme on a vu, dans les pays développés, on assiste à l'"urbanisation" de toute la population par augmentation du niveau et uniformisation du style de vie, qui rend difficile la distinction urbain/rural (et donc ce chapitre sans objet .) - Dans les pays en voie de développement, le taux d'urbanisation commence à ralentir à partir de 60 % (mais chiffre assez vague étant données les différences de définition de la population urbaine) - On assiste à une saturation des grandes métropoles, notamment des villes macrocéphales, qui attiraient par leur prééminence dans le développement économique, social, culturel de leur pays. Dans les années 50 ou 60 on imaginait que New-York aurait 40 M d'habitants en 2000, Mexico 30 M. Or il y a eu une nette décélération de leur croissance (Mexico croissait à une vitesse de 6 % /an entre 1940-50, 2,5 entre 1970-80 et baisse de 0,5 depuis 1980) à cause des contraintes de la vie quotidienne pour les habitants comme pour les activités (même en l'absence d'une polit de freinage comme il y a eu en France avec la Datar) Ralentissent aussi la plupart des grandes métropoles comme Manille, Bombay, Calcutta, Buenos Aires, le Caire. Du coup, la croissance urbaine actuelle touche davantage les autres villes, petites et moyennes, mais proches des grandes. C'est la même évolution qu'en France, pays développé macrocéphale... |