Je ne crois pas en l'autorité

(ou comment motiver les élèves, lettre de rentrée aux jeunes stagiaires)

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Le texte "Conseils à un jeune collègue de la part d'un moins jeune" provient de multiples discussions que j'ai eues avec de nombreux collègues aguerris qui m'ont fait part de leurs façons de faire. Je l'ai rédigé pour moi lors de mes premières années d'enseignement (vers 1991), et je le relisais durant la semaine précédant la rentrée pour me préparer mentalement à affronter mes nouvelles classes... Et puis le métier est rentré, je n'en ai plus eu besoin, et j'ai fini par le mettre en ligne.

Certains de mes proches se sont étonnés du caractère répressif de ce qu'on y trouve, étant donnée ma vision des relations entre les gens en général, entre enseignants et enseignés en particulier, vision refusant les rapports de force (les deux sont liés d'ailleurs, je me suis fait un peu déborder pendant mes premières années). J'ai ressenti le besoin de le compléter par un autre texte : "Je ne crois pas en l'autorité" (septembre 2003).

Claudia Renau

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L'ambiguïté du terme autorité questionne : elle est à la fois le "droit de commander, pouvoir d'imposer l'obéissance" (Petit Robert) et la "supériorité de mérite ou de séduction qui impose l'obéissance sans contrainte, le respect, la confiance", c'est à dire deux positions à mon sens opposées et incompatibles. Ce qui suit est une invitation à abandonner l'obéissance afin de permettre… la confiance.

Je ne crois pas en l'autorité pour faire travailler les élèves, pour les faire écouter, pour leur faire apprendre. Je crois bien davantage à l'agrément et au plaisir de la découverte.

Certes vous serez une figure d'autorité : l'institution vous donne la possibilité de juger, noter, punir, sanctionner. Certes le caractère obligatoire de l'école* constitue la première violence faite aux élèves, et vous n'y pourrez rien.

Mais l'essentiel est ailleurs.

Vous aurez à créer une relation de qualité avec chacun de vos élèves et chacune de vos classes. Cette relation de qualité ne saurait passer par la coercition.

Pourquoi ce refus de la coercition?

La contrainte n'est pas le meilleur moyen d'apprendre, elle est aveu de faiblesse et surtout elle fait souffrir.

On n'apprend pas bien par la force, ni durablement. Les stagiaires sont chaque année étonnés de la facilité avec laquelle leurs élèves se sont souvenus (lors de contrôles écrits) d'informations données lors de sympathiques échanges oraux basés sur des questions des élèves (portant sur le cours mais qu'ils ne devaient pas réviser pour le contrôle). En plus de la culture orale de beaucoup d'élèves, ce qui a joué était leur souvenir affectivement impliqué. Vous pourrez aussi les interroger à l'improviste en fin d'année sur des notions apprises par cœur au début. L'exercice apprend l'humilité…

Noter les élèves est un moyen de coercition, et non un passage obligé pour garantir leur niveau. Les récents résultats de l'enquête internationale PISA (désormais payant sur le site de l'OCDE) sur les acquis des élèves montrent que les pays scandinaves, et notamment la Norvège, font partie des pays obtenant les meilleurs résultats, alors que les élèves ne sont pas notés avant 14 ans…  (source http://www.cafepedagogique.net). Etonnant non?

Certes on ne pourrait peut-être pas transférer des pratiques d'un pays tolérant et protestant à un pays centralisateur et marqué par le statut rédempteur de la souffrance. Mais quand même!

L'exercice de l'autorité est un aveu de faiblesse, car elle semble dire : je n'ai pas les ressources pour vous convaincre de faire ce que je vous demande -par mes compétences, mes talents-, alors j'utilise la force. Penser en termes de "rapport de force qu'on doit gagner" nous place en position de défense, de crainte ou d'agression, position qui risque d'amener le conflit.

On ne fait pas assez attention aux effets pervers de l'autoritarisme lorsqu'on débute et qu'on craint se faire déborder par les élèves en étant trop gentil. J'ai été frappée l'automne dernier (lors de mes premières visites) par la froideur des stagiaires. Par leur insensibilité apparente, ils créaient une ambiance pesante et stressante qui tendait à nuire au travail de la classe. Certes, un débutant est plus vulnérable. Cependant, la plupart des élèves ne fonderont pas le respect qu'ils auront pour vous sur la crainte que vous leur inspirerez. Mais sur votre enthousiasme à partager ce que vous savez et aimez, votre écoute vis à vis de chaque individualité, votre plaisir à être là. On nous avait dit lors de mon stage à Grenoble en 1989 : si vous parvenez à ne pas dégoûter vos élèves de l'histoire géographie à la fin de l'année, vous aurez gagné votre année. J'avais trouvé ces propos si défaitistes. Je ne me rendais pas compte de la quotidienneté de ce danger. 

Les contraintes scolaires font souffrir une majorité d'élèves –rester assis sur une chaise sans bouger six heures par jour, ne pas pouvoir travailler à son rythme, ne pas pouvoir interagir avec l'enseignant, voir son avenir dicté le plus souvent par une orientation par l'échec... Les enseignants en sont rarement conscients lorsqu'ils débutent, ayant été eux-mêmes des élèves adaptés au système. Les élèves adaptés et valorisés par le système sont une minorité, environ 20 %** (et parmi eux, combien découvriront à 22 ans qu'ils ont intégré une grande école scientifique sans que cela corresponde à un projet personnel?).
Environ 20% des enfants sont peu à peu broyés par cette grande machine de classement et de tri qu'est l'école : il ne faut pas chercher plus loin certains ferments de révolte. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on a répété si longtemps à tous ces enfants à quel point ils étaient nuls selon les normes scolaires.
60% des élèves sont indifférents, acceptant de venir car il y a les copains ; ils forment ces nombreuses classes passives et poussives où le prof a l'impression d'être seul à s'agiter sur l'estrade. Ce n'est pas qu'une impression d'ailleurs. Je soupçonne le système d'être parfaitement adapté à une reproduction sociale habituant les uns à obéir et les autres à faire partie de l'élite dirigeante, mais tel ne sera pas notre propos aujourd'hui (et puis Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron l'ont dit très bien voilà plus de 30 ans !).

 

Comment construire une relation de qualité ?

En étant compétent, en leur apportant des informations intéressantes et bien présentées, des activités variées.

En étant attentif, à l'écoute de ce qu'ils ont à vous dire : leurs réactions d'incompréhension, leurs demandes de précision, leurs questionnements.

En leur faisant confiance a priori (demandez à un élève de surveiller votre sac, plutôt que lui interdire d'y toucher, vous verrez la différence). Quiconque à qui on fait confiance souhaite s'en montrer digne ; pour une classe c'est vrai aussi le plus souvent. Il faudra bien sûr réagir en cas de défaillance, mais vous aurez réagi a posteriori, et non en soupçonnant vos élèves a priori, ce qui est toujours désagréable.

En ayant une attitude encourageante : chaque élève a des capacités à encourager, à vous de les trouver. Et si elles sont trop loin des qualités attendues par le système scolaire, vous n'êtes pas obligé de les dénigrer pour autant.

En étant gentil… La gentillesse doit-elle faire partie de la panoplie du prof? Oui dans la mesure où c'est plus agréable pour tout le monde. Non s'il s'agit d'une technique de manipulation pour inciter l'enfant à travailler –d'ailleurs tous les enseignants s'accordent pour répéter à leurs élèves qu'ils doivent travailler pour eux-mêmes et non pour l'adulte (tout en disant l'inverse dans nombre de leurs attitudes, telles cette innocente invitation : "Vous me ferez cet exercice…").  

En croyant possible de préserver quelques pépites de liberté. Certes nous sommes corsetés par des horaires, des salles, des programmes, mais l'expérience le montre : le choix est un facteur de motivation. On se souvient d'autant mieux d'un savoir qu'il répond à son propre questionnement. Ah oui mais les élèves ne se posent pas de questions! Cela n'est heureusement pas vrai dans les petites classes, heureux Sixièmes qui ont assez souvent gardé curiosité et fraîcheur d'esprit. Les autres ont oublié : cela fait si longtemps que l'on décide à leur place ce qu'il faut étudier, quand l'étudier, comment l'étudier… que leur curiosité a fini par se scléroser.
Parfois, lorsqu'il risque de trop craquer, le système se souvient de l'importance du choix et consent à créer des Itinéraires de découverte, des Travaux personnels encadrés et de l'ECJS***. Pendant 2 heures par semaine.

L'autre facteur de motivation est le plaisir : remarquez comment les élèves se souviennent de chaque détail d'un film de 2 heures. La source du plaisir ne peut être que vous, c'est à vous en premier d'aimer enseigner ce que vous enseignez en le rendant intéressant. Ce n'est pas incompatible avec le respect du sacro-saint programme. D'abord pour une raison de fond : il est impossible de "finir" le programme… faites donc que ce soit vous qui choisissiez ce que vous traiterez moins intensément, et pas le manque de temps en juin. Comment choisir ce sur quoi vous mettrez davantage l'accent? Ce qui vous fait plaisir à vous, c'est là que vous serez le meilleur. On peut même avoir envie d'y consacrer un projet au long court, qui conduira les élèves à creuser un sujet de leur choix (en rapport avec le programme, le choix en histoire géographie éducation civique est vaste), depuis la recherche de l'information jusqu'au compte-rendu.

Vous aurez ainsi construit une relation fondée sur la confiance qui vous rendra crédible… et écouté, tant-il est vrai qu'il se joue à l'école ce qui se joue dans toute relation sociale, à travers échanges et interactions entre personnes. Vous serez respecté si vous respectez, vous serez écouté si vous écoutez. Si certains élèves vous provoquent, il sera bien temps d'y répondre alors a posteriori par une ferme réaction (une saine colère, un travail à faire, un éloignement), afin de protéger votre point de vue. Mais dites-vous aussitôt qu'une provocation d'enfant est un appel à l'affection : je me fais remarquer, même si c'est en mal, au moins j'aurai existé pendant ce temps là.

Je ne crois pas en l'autorité pour des raisons d'abord morales, mais il se trouve qu'en plus, la coercition n'est guère efficace. C'est l'agréable qui est efficace, n'en déplaise aux esprits chagrins… ****

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Et peut-être est-ce en ne croyant pas à l'autorité que…vous deviendrez une autorité pour vos élèves !

Claudia Renau
enseignante de géographie et TICE à l'IUFM de Paris
claudia@parisbalades.com
ou claudia.renau (at) gmail.com
(toute critique et suggestion bienvenues)
septembre 2003

 

* certes c'est l'instruction qui l'est en droit. Mais la pression sociale la rend de fait obligatoire.
** d'après mes observations basées sur 10 ans d'enseignement dans 9 établissements variés (surtout collèges).

*** Education civique, juridique et sociale, nouvel enseignement introduit en 1999 basé sur des recherches personnelles des élèves suivies par un débat en classe. Les IDD (en collège) et les TPE (en lycée) permettent aux élèves de mener une recherche personnelle.

**** "Et ce faisant on les a eus" : c'est ainsi qu'une mère institutrice et non-scolarisante qualifia un jour ces efforts destinés à séduire les élèves pour les faire travailler. En effet, la motivation pour apprendre reste quand même extérieure à l'enfant. C'est pourquoi un certain nombre de parents refusent en France d'envoyer leurs enfants à l'école : "Ces familles qui choisissent de vivre sans école".


 

Bibliographie       

Marie-Danielle Pierrelée et Agnès Baumier, Pourquoi vos enfants s'ennuient en classe, Pocket, 1999.
(compte-rendu)

Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction, Minuit, 1970.

Isabelle Filliozat, L'intelligence du cœur, Marabout, 1998.

Thomas Gordon, Enseignants efficaces, Le Jour, 1982 ; Parents efficaces, Marabout, 1970 ; Eduquer sans punir, L'homme Eds De, 2003.

Alice Miller, C'est pour ton bien, Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant, Aubier, 1983.

A.S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Folio, 1960.

Philippe Perrenoud, Les droits imprescriptibles de l'apprenant ou comment rendre le métier d'élève
plus vivable
, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, Université de Genève,1995 :
Unige.ch.

 

Liens
http://perso.wanadoo.fr/b.collot/b.collot/pratique/clasunidebut.htm - Un texte passionnant de Bernard Collot bien plus large que son titre : "Tu débutes en classe unique ou en classe hétérogène" en primaire.
Nouvelobs.com (copie de sauvegarde) - "Ecole : la leçon finlandaise" par Caroline Brizard, le 17 février 2005.      
Cofat.terre.defense.gouv.fr - Le magasine COFAT de l'armée de terre a publié mon texte 'je ne crois pas en l'autorité'...

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